Naissance et Baptême d'un continent
Naissance et baptême d’un continent
La représentation et la dénomination du continent américain dans les documents imprimés à Saint-Dié en 1507
Le chanoine de l’Eglise de Saint-Dié Vautrin Lud, passionné par la géographie, prend connaissance en 1505 de l’opuscule que vient d’éditer à Strasbourg le jeune savant Mathias Ringmann, De ora antarctica. Cette brochure est l’une des quatorze éditions en langue latine, publiées le plus souvent sous le titre Mundus novus, de la relation du troisième voyage d’Amerigo Vespucci effectué en 1501-1502, à la demande du roi du Portugal Manuel 1er. Au cours de cette expédition la flotte longea les côtes atlantiques du Brésil puis de l’Argentine du 5° et 52° de latitude sud. Dans ce document rédigé à l’intention de Lorenzo di Pier Francesco di Medici, chef de la maison d’affaires dans laquelle il a pris du service, Vespucci se montre convaincu que les terres auxquelles il a abordé sont celles d’un continent nouveau inconnu des Européens de son temps.
Vautrin Lud, frappé par cette révélation, décide alors de créer à Saint-Dié une imprimerie et de rassembler autour de lui un groupe de savants. Il s’attache les services de Mathias Ringmann, helléniste alsacien alors correcteur d’imprimerie à Strasbourg, et de Martin Waldseemüller, cartographe allemand connu dans les milieux humanistes alsaciens. Avec son neveu Nicolas Lud, secrétaire du duc de Lorraine, et son collègue du chapitre de Saint-Dié Jean Basin de Sandaucourt, latiniste estimé, Vautrin Lud, Ringmann et Waldseemüller forment un petit groupe de savants qui prend le nom de Gymnase Vosgien.
Par l’intermédiaire de son souverain, le duc de Lorraine René II, Vautrin Lud obtient de Lisbonne deux autres documents :
- le récit, rédigé en 1504 par Amerigo Vespucci sous forme de lettre adressée à Pier Soderini, gonfalonier perpétuel de Florence, des quatre voyages qu’il a effectués de 1497 à 1504 sous la bannière du roi de Castille, puis sous le pavillon du roi du Portugal. Ce document confirme la découverte du continent nouveau ;
- une carte marine, établie dans un atelier de cartographie de Lisbonne, sur laquelle sont consignées les informations données par les récits de Vespucci. Cette carte semble avoir été très proche du travail exécuté par Nicolas Caverio en 1502.
Dès réception de ces documents, Martin Waldseemüller construit un petit globe terrestre sur lequel sont représentés quatre continents, dont un nouveau à l’ouest de l’océan Atlantique nommé deux fois America, séparé de l’Asie par un autre océan. Ce « Globe vert » appartenant à la Bibliothèque nationale de France, a probablement été offert au duc de Lorraine René II, grâce à qui le groupe de Saint-Dié pourra poursuivre ses travaux.
Vautrin Lud se propose alors de donner une nouvelle (la huitième) édition imprimée de la Geographia de Ptolémée dans laquelle apparaîtrait le nouveau continent dessiné d’après les derniers documents reçus. Mais l’entreprise exige des travaux de recherche, de révision et de traduction des textes de Ptolémée, d’après les manuscrits grecs, plus importants et plus longs que prévus. Pour cette raison, le Gymnase Vosgien décide de publier rapidement une nouvelle carte du monde, construite en tenant compte des documents reçus du Portugal.
En 1507 est gravé et imprimé en 12 feuillets de 43 x 59 cm un planisphère cordiforme intitulé Universalis cosmographiae secundum Ptholomaei traditionem et Americi Vespucci aliorumque lustrationes. Assemblées, ces 12 feuilles reconstituent une carte cordiforme de 1,29 m de haut sur 2,32 m de longueur couvrant les 360° du globe terrestre.
En même temps, sur une planche de bois, sont gravés douze fuseaux horaires sur lesquels est dessiné le globe terrestre avec quatre continents. A partir de cette planche sont imprimées des feuilles de papier destinées à être découpées suivant le contour des fuseaux puis collées sur des sphères de bois, de métal ou de carton ; elles permettent d’obtenir ainsi rapidement et à bas prix des globes terrestres de petites dimensions (18 cm de diamètre).
L’intérêt extrême de la grande carte du globe terrestre réside dans le fait que, pour la première fois, le monde nouveau est représenté sous la forme d’un véritable continent entouré par des océans. Un passage libre est ménagé entre la partie nord et la partie sud. La partie septentrionale de ce Nouveau Monde est limitée au 53° de latitude nord. La nomenclature de la côte Est, de Terre-Neuve à la Floride, prend en compte les observations de Jean et Sébastien Cabot, faites pendant les voyages de 1496 à 1499 au cours desquels ils avaient cru être arrivés en Asie, au pays du grand Khan. La partie méridionale s’allonge en forme de couteau jusqu’au 52° de latitude sud, à la hauteur des îles Falkland. Elle est nommée America. Les améliorations de la grande carte de 1507 semblent résulter de la connaissance de nouveaux documents cartographiques arrivés à Saint-Dié après le tirage de la carte Orbis typus universalis, première carte gravée des terres nouvelles destinée à l’édition de la Géographia de Ptolémée et nommée elle aussi America.
Carte et globe de 1507 imprimés comportent évidemment dans leur dessin un tracé parfaitement imaginaire qui se révélera ultérieurement n’être qu’une extrapolation hardie, voisine de la réalité, que s’étaient bien gardés de faire les modèles portugais. Il s’agit évidemment de la représentation des côtes ouest, baignées par des océans, qui ne seront révélées qu’à partir de 1513 par Balboa et de 1521-1522 au retour de l’expédition Magellan. Martin Waldseemüller, complétant la carte inspirée de Caverio, a dessiné une côte rectiligne en forme de croissant qui évolue entre les 285 ° et 320° de longitude qu’il a pris soin de nommer « Terra ultra incognita ».
Le mérite du groupe de Saint-Dié est d’avoir dans sa carte de 1506, Orbis typus universalis puis, mieux encore, dans celle de 1507 et dans son globe, donné à voir que les nouvelles terres découvertes et décrites depuis une décennie par Cabot, Fernandez, Colomb puis Vespucci, étaient bien un nouveau continent. Il a aussi, grâce à l’imprimerie et à la gravure sur bois, permis de procurer à tous les Européens intéressés : marins, banquiers, savants, une représentation de la terre entière. Jusqu’en 1507, seuls les princes avaient accès à des documents de ce type, peints en un seul exemplaire pour leur palais, évidemment très coûteux. Le secret de la géographie du monde devenait accessible à tous.
Le Baptême du Nouveau Monde
Le mot America, répété sur chacun des documents cartographiques élaborés et imprimés par le Gymnase Vosgien, devait être explicité et justifié. C’ est l’objet du petit livre-guide de 52 feuillets, petit in 4° imprimé à Saint-Dié en 1507 intitulé Cosmographiae introductio cum quibusdam geometriae ac astronomiae principiis ad eam rem necessariis Chosmographiae descriptio tam in solido Qz-plano eis etiam insertis quae. Ptholomaeo ignota à nuperis reperta sunt.
L’opuscule rédigé en latin, langue internationale des savants, imprimé en caractères romains (et non gothiques) comprend donc deux parties. La première dans laquelle sont exposées les théories de Lud, Ringmann, et Waldseemüller sur la géométrie, le ciel, les climats, etc… A plusieurs reprises il est fait référence aux découvertes de Vespucci. Au chapitre IX, on lit (traduction) : «Aujourd’hui ces parties de la terre (l’Europe, l’Afrique et l’Asie) ont été plus complètement explorées et une quatrième partie a été découverte par Amerigo Vespucci, ainsi qu’on le verra plus loin. Et comme l’Europe et l’Asie ont reçu des noms de femmes, je ne vois aucune raison de ne pas appeler cette autre partie Amérigé, c’est-à-dire terre d’Amérigo ou America d’après l’homme sagace qui l’a découverte. On pourra se renseigner exactement sur la situation de cette terre et sur les coutumes de ses habitants par les quatre navigations d’Amérigo qui suivent ».
La seconde partie du livret est consacrée à la publication –traduite de français en latin par Jean Basin- de la lettre de Vespucci à Soderini, relatant ses quatre voyages. Elle constitue le document justificatif de la représentation cartographique des terres nouvelles et de leur appellation.
Diffusion du mot « America »
A la suite du décès de Ringmann et des difficultés financières rencontrées par Vautrin Lud dans sa charge de maître général des mines de Lorraine, c’est à Strasbourg chez Jean Schott qu’est imprimée la Geographia de Ptolémée préparée à Saint-Dié de 1506 à 1511 . La carte Orbis typus de 1506 y figure mais la mention America en a été retirée. Le dessin du quatrième continent donné dans la carte Tabula Terre Nove, limité au 44° de latitude nord et au 34° de latitude sud, est très en retrait par rapport au planisphère de 1507. La mention Terra incognita remplace America.
En 1516, Waldseemüller construit à Saint-Dié une carte de mêmes dimensions que celle de 1507 intitulée Carta marina navigatoria Portugallen. Développée sur 232 ° seulement, elle ne couvre pas les extrémités orientales de l’Asie et le Pacifique de sorte que ni les côtes Est de l’Asie ni les côtes Ouest du Nouveau Monde ne sont figurées. Des cartouches nombreux donnent des informations historiques et politiques. Le mot America est remplacé à l’emplacement du nord-est du Brésil par Terra Nova.
Malgré ce retour à la conception colombienne de Walseemüller, plus scrupuleux et plus précis mais aussi moins hardi en 1516, l’idée du nouveau continent et le nom d’America font rapidement leur chemin grâce à l’imprimerie. Le succès de la grande carte de 1507 et de la Cosmographiae Introductio est certain. 1.000 exemplaires ont été vendus en dix ans.
Les géographes européens eurent en mains cartes, globe et livret dans les éditions déodatiennes de 1507. Il est impossible de mesurer l’influence de la cartographie déodatienne mais quelques exemples montrent bien qu’elle fut forte.
Le géographe Jean Schöner possède la carte de 1507 et celle de 1516. Dès 1515, dans son ouvrage imprimé à Nuremberg, il affirme que le nom America est généralement employé. Lui-même l’utilise sur les globes qu’il construit.
En 1522, Laurent Fries publie à Strasbourg chez Jean Grüninger une édition réduite des planches de la géographie de Ptolémée. La carte Orbis typus comporte, comme en 1506 à Saint-Dié, le nom America. De nombreuses rééditions : 1525, 1535, 1541, témoignent du succès de cette géographie. Sébastien Münster reprend le nom dans sa Cosmographie Universelle de 1540 donnée à Bâle. Cet ouvrage est si apprécié qu’il est constamment remis sous presse avec le texte latin ou dans des traductions en allemand ou en français jusqu’en 1675. Les ouvrages de Symon Grynaeus imprimés à Bâle à partir de 1532, les cartes d’Apian en 1520 et 1522, les globes terrestres, les mappemondes, les cosmographies de Glareanus, Vadianus, Honter, Gemma Frisius, Myritius, Demengener, Oronce Finé, adoptent l’appellation America.
En Flandre, Gérard Mercator, inventeur d’une projection dont on voit le premier essai dans les cartes de Waldseemüller, inscrit America sur l’ensemble du continent dans son globe en fuseaux de 1541. En 1538 il avait montré très clairement l’Amérique du Nord séparée de l’Asie par un océan oriental indien dans sa célèbre carte Orbis Imago sur laquelle l’appellation America concernait l’Amérique du Nord.
Quant au texte de la Cosmographiae Introductio ; il se trouve dès 1509 dans une édition strasbourgeoise, chez Grüninger, préparée par J.A. Müling, ami de Ringmann. Une traduction des « Voyages de Vespucci » en langue allemande est donnée la même année, chez le même imprimeur.
Louis Boulanger, cartographe français dessine et fait graver sur cuivre ses fuseaux impirés directement de ceux de Saint-Dié, en 1514. Il s’approprie le texte de l’édition de Saint-Dié, se présente comme l’auteur et dédie l’œuvre à l’évêque d’Albi. L’imprimeur Jean de la Place, à Lyon, édite le livre entre 1514 et 1518.
Le passage sur le nom à donner à l’Amérique est fréquemment repris par divers auteurs : l’exemple de la Cosmographiae Introductio, publiée à Paris par G. Cavellat en 1550, est éloquent : à la similitude de titre s’ajoutent, presque mot à mot, les raisons pour lesquelles il convient d’appeler Amérique le Nouveau Monde.
Toute l’Europe adopte ce nom au XVIè siècle, sauf les découvreurs espagnols et portugais qui s’en tiennent à Inde, Brésil ou Terre de la Sainte Croix.
Il semble que la cause soit entendue à partir de la publication en 1570 à Anvers, de l’atlas Theatrum Orbis terrarum d’Abraham Ortélius, disciple de Mercator.
Le Festival International de Géographie, créé en 1990, s’inscrit dans le droit fil des travaux du Gymnase Vosgien au début du XVI° siècle.
Christian PIERRET
IV 1981
Références : Ronsin (Albert) – Le Nom de l’Amérique – L’invention des chanoines et savants de Saint-Dié – Strasbourg, Ed. de la Nuée Bleue, 2006.
Ronsin (Albert).-La Fortune d’un Nom, America – Grenoble, Ed. J. Million, 1991.
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